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Portrait, autoportrait :
graphisme et auto-représentation

Mon métier, c'est représenter : plus précisément, trouver et développer des représentations visuelles adaptées à des besoins de communication — généralement professionnels – pour permettre à mes clients de faire évoluer leur activité dans le bon sens. Cela implique de comprendre aussi bien les besoins en question que la nature de l'activité, les goûts du client (c'est tout de même mieux si ce dernier apprécie le résultat !) et les codes graphiques — dans leur globalité, puisqu'ils ont une fâcheuse tendance à changer au fil des innovations et des courants.

C'est donc un travail aux facettes multiples qui demande tant de créativité et de rigueur que de finesse analytique et psychologique. Le tout à synthétiser en quelques éléments visuels simples et identifiables. Une entreprise fascinante en perpétuelle évolution, en somme ; un travail passionnant dont je ne me lasserai pas de sitôt.

Là où je commence à titiller mes limites, cependant, c'est au niveau de l'auto-représentation. Parce qu'il existe une distance entre mes clients et moi, je peux analyser aussi objectivement que possible qui ils sont et ce qu'il est nécessaire de mettre en avant dans cette démarche de représentation pour avoir l'effet désiré. Soit. Mais le graphiste en mal de représentation doit conjuguer la difficulté d'avoir une vision objective de qui il est à ce questionnement sur sur ce qu'il veut projeter quant à sa conception de son travail : la distance entre lui et le miroir est bien maigre et donne trop peu de recul.

Un exemple concret et personnel : l'image de profil. Elle est extrêmement codifiée, même lorsque l'on prend le parti de se satisfaire d'une photo a priori toute simple. Quelle pose ? Quelle activité ? Quels vêtements ? Quel cadrage ? Quels filtres ? Malgré mon intérêt pour la discipline, je ne suis pas photographe ; ma connaissance de l'illustration est un atout plus pertinent dans ce cas de figure : plutôt que de commettre des impairs en ayant recours à la photographie, je n'ai qu'à illuster mon illustre figure (ha !), et l'affaire sera dans le sac… ! crus-je, naïvement. Car les défis soulevés par la photographie ne disparaissent pas avec le changement de médium ; ils s'ajoutent aux problématiques de l'illustration — style, technique, etc — pour former un tout encore plus complexe, riches en possibilités et en variables.

Pour tout vous dire, je n'ai pas encore trouvé comment me représenter. Je souhaite toujours passer par le dessin, parce que ce challenge me permet de mener une réflexion en profondeur sur moi, sur mon travail et sur la perception que je souhaite que les gens aient de ce dernier. Cela prendra des années ; je ne serai sans doute jamais satisfaite plus de quelques mois ; je vois dans ce souci constant de remise en question, d'actualisation de l'identité, une application plutôt saine d'un perfectionnisme qui cherche son espace d'expression. La recherche de soi avec le dessin comme thérapie, en somme.


Des exemples ? Les voici.

Croquis aux crayons, aux feutres, à l'aquarelle — parce que le trait est toujours plus naturel avec un médium traditionnel que sur la tablette graphique. Mon premier reflexe : représenter une "petite chose timide", vêtue de rouge et de noir, recroquevillée derrière ses lunettes. Si je me reconnais dans ce tableau, ce n'est dependant en rien la personne que je suis en train de devenir ou mon "moi" professionnel. Non, cela ne va pas du tout.


Un portrait idéalisé, alors ? Tout en courbes, en étoiles et en paillettes, le moi créateur qui, d'un coup de crayon, transforme et illumine le monde ? Sans intérêt : complétement abstrait, trop ambitieux et absolument coupé de la réalité. Zéro pointé.


Un portrait plus honnête, peut-être ; plus banal. Envoyez les cernes, l'expression désabusée et les mains dans les poches… sauf que là le tableau n'est plus très vendeur. Encore un échec ? Au moins cette représentation-ci promeut mon sens de l'autodérision !


Je vous épargne d'autres longs discours ; la conclusion, vous la connaissez déjà : le graphiste a beau connaître tous les codes, toutes les règles, toutes les astuces, il se démène autant — voire plus — que quiconque quand il s'agit se se mettre en avant. Paradoxe ? Je ne crois pas ; je trouve plutôt cet état de fait rassurant.

Une citation d'un grand en conclusion ? Vous l'avez bien méritée :

“On dit, et je le crois volontiers, qu'il est difficile de se connaître soi-même. Mais il n'est pas non plus aisé de se peindre soi-même.”Vincent Van Gogh (excusez du peu).